La gémellité garde encore bien des mystères notamment sur les liens étroits qui lient les deux frères (ou sœurs). Longtemps considérés avec méfiance avant que la biologie n’explique la particularité des grossesses doubles (une sur 300 pour les jumeaux monozygotes), les jumeaux ne sont plus considérés comme des « copies conformes » mais bien comme des frères à l’innée commun et aux acquis différents. Demain sur la pelouse de Mayol, Thibaut et Clément Lanen (22 ans), seront titularisés ensemble pour la première fois avec l’équipe professionnelle. Deux rôles différents et un plaisir commun pour les jumeaux « jaune et bleu ». 

 

 

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On a parfois l’impression de voir double ou de surestimer les capacités de déplacement des frères Lanen sur le terrain d’entraînement lorsqu’un lancement de jeu voit le premier capter un ballon dans l’alignement et que sur le ruck suivant, c’est encore lui qui assure le premier soutien… A tort, il peut arriver de penser que c’est le même joueur surtout lorsque Clément et Thibaud ne portent pas de casque (qui permet facilement de les différentier). L’excuse est toute trouvée car, la gémellité dans le sport de haut-niveau est un fait extrêmement rare. Mis à part les jumeaux australiens du Stade Toulousain Arnold (Rory et Richie, qui sont d’ailleurs de faux jumeaux), on a bien farfouillé pour finalement ne trouver que quelques exemples par-ci par-là (les frères Bob et Mike Bryan, longtemps numéro un mondial de tennis en double, Brook et Robin Lopez, les géants de la NBA, ou encore les sœurs footballeuses Estelle et Delphine Cascarino). Bref un grain de poussière dans le monde sportif professionnel. Il est d’ailleurs encore plus exceptionnel de voir les jumeaux évoluer ensemble et à la même vitesse alors que beaucoup, malgré les liens très forts qui les unissent, finissent par voir leur progression se scinder lorsque l’un des deux prend le dessus sur l’autre (ce fut par exemple le cas de Michel Hidalgo (football) Thierry Omeyer (Handball) ou le pilote de F1 Mario Andretti). Le secret de Clément et Thibaud réside probablement dans l’éducation qu’ils ont reçue et l’équilibre qu’ils se sont construit. C’est près de Mende en Lozère (dans le village de Castel Novel) qu’ils ont débuté le rugby dans le sillage de leur père Hugues (qui a évolué à Mende et Rodez) avant de devenir leur premier éducateur alors qu’ils n’avaient que 4 ans et demi. « J’étais éducateur au club de Mende et après avoir touché un peu à tous les sports, Foot, Hand, ils sont naturellement fixés sur le Rugby », précise le Papa qui a suivi ses jumeaux 2-3 saisons avant de les laisser dans les mains d’autres éducateurs. « A cette âge-là et jusqu’à nos 12-13 ans, nous étions constamment dans le besoin de s’affirmer, et je peux dire que nous nous sommes mis de belles peignées », rigole Clément. Déjà solides et poussés par une concurrence gémellaire motivante, les deux garçons progressent rapidement dans le rugby (et aussi dans les études, ils décrocheront tous les deux un BAC scientifique quelques années plus tard) et ne tardent pas à rejoindre le centre de formation clermontois. « Nous avons rejoint l’ASM à 15 ans. Déjà quelques années plus tôt nous avions laissé tomber la concurrence « entre nous » pour la transformer en soutien l’un pour l’autre. » Les deux garçons vont en avoir besoin pour se faire à leur nouvelle vie clermontoise loin de leur Lozère natale. 

 

 

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Une signature professionnelle commune … comme une évidence !   

 

La greffe avec la capitale auvergnate et le centre de formation clermontois se passe à merveille et très vite, Clément et Thibaud font partie des têtes d’affiche de la pépinière asémiste. Cadres de l’équipe Espoirs, ils intègrent dès 2018 l’entrainement avec l’équipe professionnel lors des aller-retours concernant les joueurs les plus prometteurs. « C’est une période qui nous a beaucoup motivés », reconnaissent-ils. Baignés par une éducation saine et des sentiments bienveillants ils se sont construits dans la motivation plutôt que dans la frustration. « Quand l’un était pris, l’autre était super content pour lui. Et nous nous donnions constamment des conseils ou faisions des retours sur les entrainements d’un côté et de l’autre des Gravanches » A force de travail et de détermination, tous les deux se sont vus proposer (l’an dernier) leur premier contrat pro jusqu’en 2022. Pouvait-il en être autrement ? Leur avenir pouvait-il s’écrire dans deux clubs différents ? « Franchement, nous avons toujours évité la question… et finalement la réponse est venue plus vite que nos interrogations. Mais c’est certain que c’est une opportunité formidable pour nous de continuer ensemble dans un club comme l’ASM. » « La question était un peu tabou, il faut l’avouer » reconnait leur père Hugues. « Nous n’en parlions pas vraiment mais je crois que nous avons tous été ravis et soulagés de les voir continuer ensemble à Clermont. »

 

Une complicité dont ils tirent leur force…

 

Depuis, les garçons habitent ensemble dans une maison en périphérie de Clermont où ils poursuivent leur progression en alternant de façon toujours plus régulière les semaines avec les professionnels et les feuilles de match. « Leur relation les rend plus fort » analyse leur père Hugues. « Les jumeaux ont des facultés d’échange qui semblent inexplicables pour les autres. Lorsqu’ils étaient petits ils avaient développé une sorte de langage « à eux » auquel nous ne comprenions rien (NDLR : une observation assez fréquente chez les vrais jumeaux), Ils ont aujourd’hui une complicité incroyable. Pourtant, nous n’avons jamais entretenu cela plus que nous l’aurions fait pour des frères. Même s’ils ont passé une grande partie de leur scolarité ensemble, nous n’avons jamais voulu les habiller de la même façon ou les enfermer dans les stéréotypes des jumeaux »« Ce sont deux garçons différents. C’est bien sûr une force qu’ils jouent ensemble », poursuit la maman, « mais il ne faut pas faire d’amalgame et ne parler que des jumeaux comme d’une seul entité » Clément et Thibaud ont ainsi pris le meilleur de leur gémellité sans en trainer les casseroles. « Entre nous », poursuit Clément « c’est assez difficile à expliquer mais nous n’avons pas toujours besoin de parler ou de nous voir pour savoir ce que nous avons à faire ou même où nous sommes » On frise le paranormal, mais c’est un sentiment très rependu chez les jumeaux qui développent surtout une complicité décuplée. « Il y a aussi évidemment un sentiment de protection plus fort entre nous qu’entre n’importe qui, c’est viscéral ! » « C’est probablement leur grande force,reconnait leur père. Ils sont capables à la fois d’être très critiques l’un envers l’autre pour permettre à l’autre de progresser et aussi de se sentir valoriser à travers les performances de l’autre plutôt que de le jalouser.  Par exemple, l’an dernier lorsque Clément avait réalisé un gros match à Bordeaux, Thibaud avait vécu par procuration un grand moment en partageant le plaisir de son frère… il en a aussi tiré beaucoup de motivation » à vouloir lui aussi pointer le bout de son nez avec l’équipe première (NDLR : il sera à son tour titulaire quelques mois plus tard sur la pelouse de Toulon). Les deux jumeaux se tirent ainsi la bourre depuis des années, dans l’école de Rugby de Mende, quelques années plus tard au centre de formation de l’ASM avant, d’aujourd’hui, poursuivre cette course en avant avec les « jaune et bleu ». Thibaud avec une dizaine de feuilles de match mène la course des apparitions alors que Clément a pris l’avantage au niveau des titularisations (2 à 1)… 

 

Mais aussi des différences…

 

Franck Azéma qui les fait régulièrement monter avec les pros depuis plusieurs années reconnait avoir encore du mal à les distinguer. « Il y a bien, leurs mèches qui ne vont pas dans le même sens et aussi des traits sur le visage qui sont assez différents mais il y a quand même beaucoup de similitudes. Dans mon management, ce sont deux joueurs à part, ce qui m’importe c’est surtout leur respect et l’éducation qu’ils ont reçus. Ce sont des garçons très professionnels, très à l’écoute. Finalement le moyen le plus simple pour les distinguer est de les mettre sur le terrain. Clément est plus aérien et Thibaud se consacre plus aux taches obscures même si ni l’un ni l’autre ne rechigne. Ils sont très complémentaires.» Si complémentaires que le coach clermontois alignera les jumeaux ensemble pour la première fois à Toulon et probablement aussi pour la première fois dans l’histoire du club. « Ils n’en parlent pas mais je me mets à leur place et à celle de leurs parents, jouer avec son frère jumeau ça doit filer des papillons dans le ventre » sourit le coach. Les jumeaux confirment leur fierté tout en retenue concentrés sur le déplacement à venir « Franchement, quand nous sommes arrivés de Lozère nous n’aurions jamais imaginé cela, titulaires ensemble avec l’ASM à Toulon… » Bloqué en Lozère par la situation sanitaire, Hugues, le papa aurait dû suivre ses garçons comme il l’a fait avec Clément à Bordeaux et Thibaud à Toulon, la saison dernière «  C’est dommage mais cela ne gâche pas notre plaisir et notre fierté de les voir ensemble » On le serait à moins… Pas question de laisser Hugues sans nous révéler l’astuce ultime pour les différentier. « Je ne me pose jamais cette question » rigole-t-il. « Chez nous c’est instinctif, je n’ai jamais besoin de savoir lequel j’ai en face de moi ou au téléphone ! » On est bien avancé, mais on arrive tout de même en poussant le questionnaire à avoir quelques indications : « ils ne fonctionnent pas vraiment pareil : Clément est probablement celui qui a le plus gros caractère, Thibaud est moins impulsif et plus posé. Ils ont tout de même en commun un drôle de tempérament et l’envie de ne jamais rien lâcher. »De premières indications pour les reconnaitre sur la pelouse de Toulon mais le plus simple au-delà des 5 kg et du centimètre qui les séparent (en faveur de Thibaud) sera de se fier à la couleur du casque : « Bleu » pour Thibaud et « Blanc » pour Clément à moins que les deux frangins s’amusent à les inverser…