Les attaques de requin touchent une centaine de personnes par an dans le monde, Sitaleki Timani en a été victime à l’âge de 11 ans alors qu’il nageait avec son frère, Sione, dans les eaux chaudes du Tonga. Après quelques minutes de bataille, une énorme morsure sur la cuisse puis un deuxième au niveau de l’estomac, consécutive à une nouvelle attaque du squale, Sita, le corps ensanglanté, est parvenu à regagner la surface avec l’aide de son frère. Le Pacifique avait manqué sa cible, mais lui avait pris bien pire quelques années plus tôt plongeant sa famille dans une période bien difficile. Le Rugby lui a permis de sortir la tête de l’eau et de prendre soin de sa famille. Rien ne le rend plus fier aujourd’hui …

 

 

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Dans les îles du Pacifique, les mamans entretiennent des légendes où des monstres habitent les océans et règnent en maître dans le monde de l’eau. Un petit mensonge visant à protéger leur progéniture des dangers des courants et des noyades. Comme tous, Sita y a cru jusqu’à ses 6 ans, l’âge auquel il a maitrisé la nage et a voulu explorer par lui-même la partie interdite de son environnement paradisiaque. Dans son petit village de Navutoka, le Pacifique n’est qu’à quelques mètres de sa maison donnant sur la plage. C’est dans ce récif de corail aux eaux turquoise qu’il passait ses après-midis avec son grand frère Sione (aujourd’hui à Auch, après une belle carrière en Europe et de nombreuses sélections avec le Tonga). A 11 ans, les monstres des Océans étaient depuis longtemps oubliés pourtant l’un d’eux a fait une brutale réapparition. « Je me souviens d’une journée pluvieuse. Nous étions partis avec mon frère vers le large, comme d’habitude. Tout d’un coup, j’ai ressenti une énorme douleur dans la jambe. Je n’ai rien vu, rien compris … » Le squale, probablement un requin de récif ou un requin à pointe noire, avait appliqué à la lettre la stratégie d’attaque de cette espèce en venant frapper une première fois avant de disparaitre… pour mieux revenir à la charge. « Après la première morsure, je n’avais qu’une idée en tête : nager le plus vite possible jusqu’à la plage. Nous étions au large mais nous nagions vite et la plage n’était plus très loin. » Trop loin pour garder une longueur d’avance sur ces poissons d’une agilité redoutable. Le requin a frappé une deuxième fois au niveau du ventre, de l’estomac… pour en terminer avec sa proie, cette fois-ci. Sita s’est débattu parvenant à faire lâcher prise à son agresseur. « Je n’avais plus de force, nous étions dans un bain de sang ». Sione a pris Sita dans ses bras pour regagner la plage sous les yeux de son petit frère Lopeti (aujourd’hui à la Rochelle). « Je saignais beaucoup et j’ai dû être conduit à l’hôpital le plus proche où les médecins m’ont recousu la jambe, suturé mon estomac, une partie de mon ventre en interne et ont refermé mes plaies. J’aurais probablement dû rester quelque temps mais il n’y avait pas de chambre disponible… » Sitaleki aurait pu y laisser la vie, il retournera à l’eau au lendemain du retrait des dizaines de points de suture qui lézardent sa jambe et son ventre laissant, à vie, un souvenir de cette rencontre terrifiante. Des cicatrices de l’Océan qui ne sont que superficielles comparées à celles qu’il porte depuis ses 7 ans et la disparition tragique de son père.

 

Le décès accidentel de son père plonge sa famille dans la pauvreté

 

Au cœur des Tonga, dans le village de Navutoka, la famille Timani vivait paisiblement. Sa maman tenait une épicerie pendant que son père plongeur professionnel partageait son temps entre la plongée et la pêche en haut fond, employé par une grande compagnie. Alors qu’il traquait les poissons les plus gouteux des Tonga dans les eaux profondes de l’océan pacifique, la machine qui le reliait à l’oxygène à la surface du bateau a connu un incident mécanique. Malgré l’aide des autres pécheurs qui l’ont aidé à remonter à bord et l’ont transporté à l’hôpital, les médecins n’ont rien pu faire pour sauver le père de famille privé d’air pendant trop longtemps. « Mon père est mort à l’hôpital, j’avais 7 ans. Nous nous sommes retrouvés seuls avec ma mère, mes deux frères et mes quatre sœurs. Sans l’aide financière de mon père, le magasin de ma mère n’a pas tenu longtemps avant de faire faillite… Sans lui, nous n’avions plus rien. » Tout est, alors, devenu très difficile pour la famille. La solidarité des villages des îles pacifiques a bien fonctionné un temps, tout comme l’aide de son oncle (le frère de sa mère) qui les fournissait en « choses essentielles et d’un peu de nourriture » faisant ce qu’il pouvait pour être au soutien de sa famille. Les grands parents de Sita qui vivaient aux États-Unis envoyaient aussi de l’argent quand ils le pouvaient. Cela n’empêchait pas le manque et les privations… « Pour nous, il était normal de ne pas avoir de petit-déjeuner. Nous nous levions, nous avions faim, mais il n’y avait rien à manger. Alors on partait à l’école. Parfois nous n’avions même pas assez d’argent pour payer un ticket de bus, on essayait de faire du stop et quand ça ne fonctionnait pas, nous marchions vers l’école (une heure de marche) avant de revenir par les mêmes moyens… »

 

 

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Sitaleki et son petit frère Lopeti, devant leur maison

 

Le Rugby a permis à ma famille de revivre !

 

Toute l’enfance de Sita se déroula dans « la pauvreté » comme il le reconnait aujourd’hui. Les opportunités pour s’en sortir n’étaient pas nombreuses, il eut pourtant la bonne intuition de choisir le sport pour dégager un coin de ciel bleu à son avenir. « Dans mon village on ne jouait qu’au Foot, pas au Rugby. J’ai donc commencé comme ça ». C’est ce qui lui a permis de se faire remarquer et de quitter son île pour la première fois. « A 15 ans, j’ai rejoint une équipe de foot en Australie. J’y ai passé 2 années avant de revenir au lycée des Tonga et de découvrir le Rugby ». Quelques mois plus tard, Sitaleki signait son premier contrat en Rugby League avec les moins de 20 ans de la Western Force, il venait d’avoir 18 ans. « Franchement je ne jouais pas pour l’argent, je ne savais même pas combien on pouvait gagner en jouant au Rugby ». Sita n’avait qu’une ambition « trouver un moyen d’aider sa famille » et un rêve « offrir une piscine à ma mère ». Après avoir lu dans le détail les termes de son premier contrat, Sita eut une réaction épidermique « Wouhaaa ! On peut gagner cet argent seulement en faisant un sport que l’on aime ! J’étais jeune, mais avec l’argent que l’on me promettait, je pouvais manger autant que je voulais au Tonga, m’acheter ce dont j’avais besoin et penser à ma famille en étant sûr que personne n’ait faim. » Le seconde ligne clermontois s’exécuta aussitôt et pris en charge une bonne partie de sa famille (comme le firent également ses frères Sione et Lopeti tous les deux engagées dans de belles carrières en Australie, en Angleterre ou en France), sa mère et ses 2 jeunes sœurs qui sont encore aujourd’hui dans son village natal (ses 2 autres sœurs se sont mariées depuis et ont quitté la maison familiale). Il se souvient de ce moment. « Je suis tellement heureux de pouvoir t’aider » avait-il simplement dit à sa maman si fière de la réussite de son fils. « C’était un tellement bon sentiment. J’avais 18 ans et j’étais capable d’aider ma famille de subvenir à nos besoins. » Depuis ses débuts, Sita n’a jamais dérogé à cette règle et une part de ses contrats prend la direction de son île du Pacifique. « Quand on est passé par les années que j’ai vécues, il n’est pas très difficile de se convaincre de faire les efforts nécessaires et tout donner sur le terrain afin de jouer le plus longtemps possible. Le Rugby a changé ma vie de  la meilleure des manière » Son professionnalisme irréprochable tient probablement dans le rôle et les responsabilités familiales qu’il a pu s’attribuer au moment où ces proches avaient besoin de lui.

 

Aujourd’hui, Sita, viscéralement attaché à son cocon, regrette que la situation épidémique ne l’empêche de faire venir sa maman et ses sœurs en Europe comme il en a pris l’habitude pour les fêtes de fin d’année. « Nous leur avons fait découvrir Paris, Londres et plein d’autres choses magnifiques en Europe lors des dernières années. Pour des familles comme la mienne qui vit au Tonga, le dépaysement est total », raconte-t-il des étoiles plein les yeux. « Cette année ce ne sera pas possible : La situation est compliquée car le principe de quarantaine est très strict avec le Tonga (et excessivement cher) nous ne passerons pas les fêtes ensemble. » Les retrouvailles ne seront que plus belles…

 

 

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La dernière photo avec toute sa famille, une semaine avant le décès de son père (qui tient Sitaleki dans ses bras).