Mathieu Abbot, le médecin des « jaune et bleu » fait le point sur l’épidémie et nous fait part de ses inquiétudes vis-à-vis d’une éventuelle reprise après le 11 mai, mais aussi du risque cardiaque lié au coronavirus. En tant que médecin, il attend une prise de décisions au niveau gouvernemental et se doit d’appliquer des mesures préventives pour les joueurs et toutes les populations qui l’entourent. Entretien… 

 

Mathieu, un bon mois après le début du confinement comment a évolué l’épidémie sur le territoire ?
L’évolution est relativement lente et stable en Auvergne. En réanimation, nous avons actuellement environ 25 patients Covid +. On mesure, ici, l’efficacité des mesures de confinement qui ont contrôlé l’épidémie dans la région qui est, pour le moment, peu touchée. De nombreux patients de réanimation proviennent des régions saturées comme la Bourgogne et l’île de France où la situation reste bien plus compliquée. Les cas auvergnats et les foyers de contamination identifiés sont pour l’instant contenus. C’est une bonne chose, mais aussi une source d’inquiétude pour la suite puisque peu de gens ont rencontré le virus et donc peu de gens sont potentiellement immunisés, ce qui rend le déconfinement inquiétant. 

 

 « Le risque pour les sportifs est cardiaque ! »

 

Durant ce dernier mois qu’a-t-on appris sur la maladie ?
Il y a encore bien plus de questions que de certitudes. Nous avons encore de nombreuses craintes et suspicions et très peu de réponses scientifiques. On redoute essentiellement, au niveau sportif, des risques de myocardite. Ce sont des inflammations du muscle cardiaque (le myocarde) avec potentiellement des troubles du rythme pouvant, à l’extrême, conduire à des morts subites. Nous savons que la plupart des virus peuvent atteindre le cœur et conduire à ce genre de complications, nous ne savons pas encore si celui-ci est particulièrement agressif au niveau cardiaque et nous devons donc être particulièrement prudents vis-à-vis de la reprise du sport dans l’ensemble des disciplines. 

 

Comment envisager d’écarter ce type de complications potentielles au niveau du sport professionnel ?

Dans un premier temps, il est important de continuer les travaux de recherche sur les patients qui ont été atteints afin d’évaluer les risques de passage et d’effets du virus vers le muscle cardiaque. Vu le caractère pandémique de l’infection virale, les autopsies sont très compliquées et rarement effectuées, nous n’avons donc que peu de données scientifiques sur le risque réel. Notre rôle, dans le doute, sera de dresser un bilan complet avant la reprise d’abord pour voir si les sportifs ont été infectés (mais pour l’instant nous n’avons pas les tests sérologiques) afin de faire des groupes de « positifs » et de « négatifs ». Il sera ensuite nécessaire de faire des bilans cardiaques habituels sur tous les joueurs et peut être d’aller plus loin avec des IRM cardiaques pour éliminer le risque.

 

On parle d’un début de déconfinement à partir du 11 mai, comment cela peut-il être envisagé dans le cas particulier du rugby qui est un sport caractérisé par ses nombreux contacts et la promiscuité de ses acteurs ?
C’est LA question ! Il est clair que vu le très faible taux d’immunité collective, si l’on revient au même stade qu’avant le confinement, les mêmes effets de propagation reviendront aussi vite et probablement même encore plus vite. Les choses peuvent donc vite repartir dans le mauvais sens. Dans le rugby comme ailleurs, il ne faut absolument pas envisager de revenir comme avant. Il va falloir trouver des moyens de mettre en place une certaine distanciation sociale. Il va falloir dépister toutes les personnes qui ont des symptômes et isoler tous les cas contacts (les gens de la famille et tous les gens qui ont été proches du patient). Il faudra que nous soyons en mesure de dépister tous les sportifs et que nous soyons en mesure de les isoler lorsqu’ils seront positifs… mais aussi isoler tous les cas contacts : dans le rugby cela veut dire toute l’équipe et le staff sportif. 

 

Concrètement, un cas dans un effectif signifierait l’arrêt de tout le groupe ? 

A priori, si l’on se place au niveau sanitaire pour limiter la propagation du virus : oui. Même si pour l’instant le gouvernement n’a pas statué sur les recommandations dans le cas de figure du sport collectif français, sur un plan médical et sanitaire c’est ce qu’il faudrait faire. 

 

« Un troisième scénario de reprise impossible sur lequel le gouvernement devra statuer ! »

 

Un groupe LNR a-t-il été mis en place pour envisager cette reprise ?

Oui, nous nous réunissons par petits groupes afin de suivre l’évolution de la maladie dans notre sport. Le constat est le même à peu près partout avec très peu de joueurs en contact avec la maladie, c’est-à-dire une population spécifique où le virus n’a pas beaucoup circulé et donc un risque important au moment du déconfinement. Nous avons fait remonter le message d’une reprise délicate dans le contexte actuel. En tant que médecin, j’aimerais que l’on puisse être entendu là-dessus et faire valoir le fait qu’il y a un troisième scénario de reprise impossible dans le contexte sanitaire actuel. Aujourd’hui, nous ne sommes pas en mesure de reprendre notre sport dans des conditions acceptables. Quand le pourrons-nous ? Je n’en sais rien. Je pense que la décision doit revenir au gouvernement, il doit statuer de façon rapide sur la manière dont nous devons envisager la reprise du sport professionnel. Notre rôle, en tant que médecins, est de protéger la santé des joueurs. Parler de reprise dans les conditions actuelles, je ne pense pas que ce soit la meilleure façon de protéger leur santé. En tant que membre du groupe, c’est forcément compliqué de tenir ces propos vis-à-vis de joueurs comme Dato, Nick, Rémy, Greig, Ice, Charlie, etc… qui pourraient quitter le club sans véritable fin mais mon rôle est de protéger leur santé et de dépasser le niveau affectif, sportif et même économique que je comprends par ailleurs parfaitement. Tant que le virus circule, que nous n’avons ni traitement prouvé efficace ni de vaccin, et tant que nous n’avons pas de tests sérologiques fiables et à disposition cela parait utopique… et cela sans parler de la question éthique de disposer de tests sérologiques alors que leur utilisation semble restreinte pour le grand public. 

 

La reprise serait envisagée dans des perspectives de « phases finales » ?

Justement, avec une population qui a été arrêtée durant au moins 2 mois, qui sera complètement sous-entraînée, c’est aussi leur faire prendre un risque sur leur santé. Si on élude le problème du virus, pour faire reprendre les joueurs et les amener à un niveau athlétique cohérent avec des matches à très haute intensité, il faut compter 8 semaines. Certains de nos joueurs ont perdu 7-8 kg, on ne pourra pas leur faire reprendre en quelques jours. Il faudra aussi les faire s’entrainer collectivement. Franchement, aujourd’hui c’est très compliqué de se projeter à cet été en encore plus sur des phases finales.

 

Les gens confinés ont plutôt tendance à grossir … les joueurs, eux, maigrissent ?

Oui, car ils ont une masse musculaire qui est très importante mais ils ne sont pas en mesure de l’entretenir à domicile où ils n’ont pas les équipements nécessaires. Nous faisons de l’entretien de base, mais pas de développement. L’hypertrophie musculaire se perd très vite. Ils peuvent prendre du poids comme tout le monde (s’ils ne font pas attention), mais le problème est surtout la perte de masse musculaire qui amène un déconditionnement qu’il faudra compenser à la reprise. Cela prend du temps, beaucoup de temps. 

 

« Notre rôle est aussi de faire de la prévention sur les personnes à risques » 

 

D’autres contraintes en vue de la reprise te semblent importante à prendre en compte ?

Nous n’avons pas encore abordé la problématique des « personnes à risques ». Nous partons du principe que les joueurs sont en bonne santé et c’est la réalité dans la très grande majorité des cas, ils seront donc déconfinés, à priori dès le 11 mai, mais qu’en est -il des personnes du staff sportif ou administratif qui sont dans une population à risques parce qu’ils ont des maladies sous-jacentes ou des facteurs de comorbidité associés à la maladie (obésité, maladies cardi-vasculaires ou respiratoires, diabète, immunodéprimés…) ? Nôtre rôle sera de leur déconseiller de reprendre le travail et de poursuivre le travail à distance. Est-ce envisageable avec un coach, le staff sportif ? Une personne du staff médical ? Et même un sportif ? Nous avions récemment le cas de Nathan Charles au club (talonneur australien porteur de la mucoviscidose), mon rôle aurait été de le protéger en refusant son retour en communauté. Dans le sport de haut niveau, il existe des maladies liées à l’effort comme par exemple l’asthme du sportif plutôt dans les sports d’endurance mais cela peut aussi exister dans notre sport. Même si le problème est plutôt « mécanique », dans cette pathologie, nous savons que les bronches peuvent être sujettes à l’inflammation, quelles peuvent être les conséquences d’une infection au coronavirus… je ne sais pas, mais mon devoir est d’être le plus préventif possible. 

 

Un mot pour finir à l’attention de tous nos supporters et plus généralement toutes les personnes qui font du sport à domicile. Quelles sont tes recommandations ?

L’activité physique est protectrice pour la santé, c’est une certitude. Il faut donc maintenir un niveau d’activité adapté à ce que nous faisons avant le confinement sans chercher à aller au-delà. Le confinement libère du temps et il faut faire attention à ne pas en faire plus que notre corps est capable de supporter. Il faut trouver le bon compromis entre bénéfice et risques. Il est aussi important de rappeler qu’il faut cesser le sport à l’apparition du moindre symptôme notamment la fièvre qui est complétement incompatible avec la pratique du sport. 

 

 

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