Il y a des choses auxquelles on se refuse de penser mais qui se font un malin plaisir à nous obséder. La fin de carrière pour un sportif est toujours un moment délicat à appréhender… une petite mort disent certains. Tous essayent de l’affronter avec le plus de certitudes afin de la maîtriser et l’affronter avec sérénité. Davit Zirakashvili est, au contraire, complètement dans le flou puisque de lourds nuages assombrissent cette fin de championnat. A ceux-ci s’ajoutent ceux qui rôdent autour des entreprises que dirige le droitier géorgien. Très affecté par cette situation « jamais vue », Dato a accepté de se confier à la fois sur l’angoisse qui le priverait de sa fin de carrière, mais aussi sur sa volonté de défendre l’activité économique de ses entreprises en anticipant la sortie de crise. Ce passionné d’Histoire, riche d’une double culture entre sa Géorgie natale et la France qui l’a adopté, balaye le monde sportif, économique et social avec beaucoup de lucidité. Touchant et passionnant…

 

 

Avec des si, on refait le monde, on peut aussi malheureusement le défaire et le voir s’écrouler. C’est bien ce qui pourrait arriver à l’historique droitier des « jaune et bleu » (qui a posé ses valises en Auvergne en 2004 et dispute actuellement sa 16ème saison sous le maillot de l’ASM) « si » la saison venait à prendre fin prématurément en raison de la crise sanitaire qui touche actuellement le pays. Une situation aussi imprévue que cruelle pour celui qui a tout connu en « jaune et bleu » et mérite une sortie par la grande porte qu’un virus pourrait bien lui refermer sur le nez. « Quand on est sportif, on peut imaginer de mauvaises fins, sur blessures, par choix sportif, mais pas comme ça » … se désole Dato. « Même en étant blessé, on peut participer à la vie du groupe, à l’ambiance collective. Même par procuration on peut vivre une fin de saison, mais là, il se pourrait bien qu’il n’y en ait pas, rien... » Les mots tombent entre pudeur et gravité, conscient que son cas n’est qu’un épiphénomène d’un gigantesque bouleversement qui secoue le monde. Pourtant le solide droitier a bien du mal à se détacher de cette fin de saison. « Je ne pensais pas que cela pouvait m’affecter comme cela. » Lui qui avait prévu de profiter « à fond » des derniers mois de vie de groupe et de compétition se retrouve seul et constate comme beaucoup « que c’est lorsque l’on t’enlève quelque chose que tu te rends vraiment compte qu’elle te manque. » Cette fin de saison, de carrière, le Coronavirus est en train de lui prendre, pourtant et même si « l’impression que cela est déjà joué » domine, il s’accroche à un dernier espoir repoussant avec détermination « la fatalité de finir comme ça, ce serait tellement frustrant… » Alors, Dato suit à la lettre les programmes des préparateurs physiques s’astreignant à une hygiène de vie rigoureuse qui a toujours accompagné sa carrière. « Le plus important est de veiller à bien surveiller son poids et ne pas revenir avec des kilos en trop. Je réduis donc mon apport alimentaire tout en faisant les efforts qu’il faut pour entretenir le cardio. C’est le plus important, si tu es bien au niveau cardio, le reste revient vite, la mêlée comme le reste. Ce sont des mouvements que nous avons presque en nous, et même si les cervicales tirent un peu les premiers jours, en 2-3 semaines d’entrainement intensif, nous pouvons revenir sur les pelouses… » Ce temps, Davit et ses coéquipiers l’auront-ils ? Personne ne peut encore le dire. Le droitier en est conscient et ne peut arrêter de se demander s’il n’a pas déjà joué son dernier match avec Clermont sur la pelouse d’Armandie. « Cette situation me touche et m’attriste énormément » répète-il. On le comprend…

 

« Je prends cette situation improbable comme un examen de vie. » 

 

A la situation sportive déjà compliquée vient se télescoper celle du chef d’entreprise que la pandémie de Coronavirus n’épargne pas. Comme sur le terrain, le droitier refuse de se présenter en victime préférant se retrousser les manches et faire face. « Les difficultés dans l’entreprise, je ne suis pas le seul à devoir les affronter en ce moment », relativise celui qui est à la tête de 3 sociétés (2 dans la sécurité et la télésurveillance et une troisième dans l’import-export de fruits secs). « Je prends cette situation improbable comme un examen de vie. Cela va nous faire changer beaucoup de choses. A chacun d’être visionnaire et d’anticiper la sortie de crise. Aujourd’hui, nous sommes dans la difficulté, c’est certain, mais c’est maintenant que nous devons penser à demain. Comment répondre le plus rapidement et être le plus vite opérationnels vis-à-vis des demandes de nos clients qui reviendront ? » Ce passionné d’Histoire a vite fait le rapprochement entre les bouleversements qui secouent actuellement la planète et les derniers qui l’ont profondément transformée. « Tout le monde va devoir s’adapter. La dernière crise de ce genre était la Seconde Guerre Mondiale. En plein chaos, les entreprises qui fabriquaient des clous se sont mises à fabriquer des balles. Aujourd’hui, ce sont des masques, du gel hydroalcoolique et demain… il faudra caler l’offre sur la demande des gens à cette sortie de crise et aussi s’adapter à l’économie. L’adaptation passera par une prise de conscience collective. Il faudra être plus solidaires que jamais au niveau national mais aussi mondial. Cela passera par une solidarité universelle. »L’économie du rugby ne sera évidemment pas épargnée par les secousses de la pandémie qui pourraient se faire ressentir bien plus loin que le terme de la saison actuelle. La question des salaires des joueurs pourrait ainsi être étudiée dans les prochaines semaines. Le droitier refuse de prendre position ne se sentant pas légitime pour donner un avis qui pourrait être perçu comme biaisé par sa situation personnelle qui l’écartera du monde sportif professionnelle à la fin de la saison. C’est donc dans la peau du chef d’entreprise qu’il se place pour aborder la question. « Comme je l’ai dit, les efforts devront être collectifs et universelles. Les salariés, les joueurs, peut-être,  mais aussi toutes les autres entités qui composent le club ou les entreprises : les revenus, les charges… tout ce qui peut être ajustable devra l’être afin de permettre à l’économie de repartir. C’est aussi du rôle de l’État de favoriser cette relance économique comme tous ont commencé à le faire. » 

 

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L’argent est une chose, les décisions et l’anticipation peuvent parfois permettre de réduire les risques et de s’affranchir de conséquences parfois bien plus coûteuses que la prévention. Pour étayer ces propos, Davit prend l’exemple de son pays natal tout en prenant garde de relativiser les deux nations où la population n’est en rien comparable (66 Millions de Français contre 4,2 Millions de Géorgiens). « La Géorgie n’a pas les mêmes capacités économiques ou médicales (moins de 150 lits de réanimation) que la France. Elle a donc dû s’adapter différemment en anticipant le problème. Il faut féliciter le gouvernement et notamment la prise de position très rapide du premier ministre (Giorgi Gakharia) qui semble contenir l’épidémie sur son territoire. Très tôt, alors que la Chine commençait à souffrir et imposer le confinement, la Géorgie a fermé ses frontières et a isolé les cas très rapidement. Les aéroports ont été fermés, tous les voyageurs géorgiens ou étrangers étaient en quarantaine (fièvre ou pas fièvre) dans des hôtels mis à disposition par l’état partout sur le territoire, parfois dans des Régions reculées. L’état a également décidé de fabriquer sur le territoire et très rapidement, au tout début de l’épidémie en Chine (fin janvier), des masques et des gels. Aujourd’hui, il n’y a pas de difficultés à se procurer le matériel de protection en Géorgie et la circulation du virus semble contrôlée grâce à une anticipation rapide. » La crise économique qui suivra celle sanitaire « changera probablement la donne au niveau mondial » poursuit Dato. « Tout le monde se rend compte de la dépendance de certains pays et modèles économiques à certaines nations. La course aux prix bas sur l’échelle du monde fut un modèle, le sera-t-il demain ? » Le pilier clermontois en doute fort. « La recentralisation des biens est probablement l’élan de solidarité dont tout le monde a besoin. Au sortir de la crise, pour aider tout le monde, il faudra probablement accepter de consommer et produire plus local, quitte à payer un peu plus cher. C’est comme ça que je vois la suite, en se donnant la main et en faisant fonctionner l’économie intérieur ».

 

« Ça ferait chi** quand même ! »

 

Dans cette période difficile en tant que sportif et chef d’entreprise, Dato trouve tout de même un rayon de soleil dans ce qu’il a de plus chère : sa famille. « C’est ma bouffée d’oxygène, je ne suis pas quelqu’un qui partage facilement mes peines et mes ennuis mais j’adore partager mes joies avec ceux que j’aime. En ce moment, c’est vrai que j’ai pas mal de choses en tête, mais il me suffit d’arriver chez moi pour que mes filles me sautent dans les bras. Comment ne pas garder le sourire ? Cela fait bien longtemps que je n’ai pas passé autant de temps avec mes filles, elles en profitent et moi aussi ! » Cachée derrière une certaine forme de pudeur, c’est bien une éclaircie qui revient dans la voix du solide pilier géorgien et cela même quand de lourds nuages noirs assombrissent les prochaines semaines qui pourraient priver Dato d’un « au revoir » ô combien mérité dans un stade où il est l’un des joueurs les plus respectés. « Ça ferait chi** quand même ! » n’arrive pas à se résoudre le droitier qui refuse d’en finir comme ça. « Il y a 2-3 mois, je n’avais aucun doute, juin 2020 serait le dernier mois de ma carrière, si ce virus me prive de la fin... »