Désormais installé à Londres où il dirige une société levant des fonds et accompagnant de jeunes Start-Up grâce à un réseaux d’anciens sportifs de haut-niveau, Benjamin Kayser connait parfaitement le club anglais de Leicester où il a évolué durant deux saisons (Champion d’Angleterre et vice-champion d’Europe en 2009). Avant de revenir au Michelin commenter le match pour la chaîne anglaise BT auprès de laquelle il intervient régulièrement, il nous livre son analyse sur cette confrontation qui s’annonce savoureuse.

 

Benjamin que deviens-tu après l’arrêt de ta carrière en 2019 ?
J’ai repris mes études en janvier 2020 à Oxford. Je suis ravi d’être enfin diplômé de mon Exécutive MBA (Master of Business Administration). J’ai ensuite créé un fonds d’investissement Teampact Ventures qui propose du financement et de l’accompagnement des dirigeants par d’anciens sportifs mais aussi de l’aide pour recruter des talents issus du sport de haut-niveau. Nous nous inspirons des meilleures pratiques issues du sport de haut niveau et des exemples de management d’équipes qui sont capables de gagner dans la durée afin d’en retranscrire les méthodes à l’entreprise. L’idée est de valoriser le « people First », une pensée qui met le capital humain au centre de toutes les décisions. Nous nous appuyons sur une communauté d’athlètes qui ont construit leur carrière autour des valeurs que nous portons. Il y a pas mal de rugbymen et women mais pas seulement puisque Nikola Karabatic, Thierry Omeyer, Bruno Martini, en autres, interviennent également. C’est une grosse et belle aventure dans laquelle je m’épanouis pleinement. 

 

Passons aux Tigers. Que représente cette équipe dans le Rugby anglais ?

C’est simple : c’est le Manchester United du rugby. Un club plus que centenaire qui possède une énorme histoire, le plus titré du rugby anglais qui n’a jamais connu la relégation…bref c’est un monument dont la place centrale est Welford Road : une cathédrale, un endroit magique pour jouer au rugby au plus près des fans. Ils ont connu 6-8 ans de brouillard, une période compliquée où ils ont beaucoup investi dans les infrastructures et ont vu quelques sponsors connaitre des moments difficiles. Ils ont eu du mal à s’autofinancer et ont dû faire des concessions au niveau de leur masse salariale… le sportif a beaucoup souffert et ils ont failli connaître, en 2020, la première descente de leur histoire avant d’être sauvés par la relégation administrative des Saracens. Steve Borthwick a su remettre le club dans le droit chemin en nettoyant la planche, en faisant des recrutements censés et en réinstaurant les fondamentaux. Ils sont redevenus, en deux saisons, le club qui fait le plus peur d’Angleterre ! Ils réalisent un début de saison quasi-parfait avec seulement 3 défaites à l’extérieur. Ils sont capables de faire tourner leur équipe sans que cela affecte leur rendement. Ils ont des joueurs merveilleux comme Ben Youngs, l’international le plus capé du rugby anglais, Freddie Steward qui est la pépite du XV de la Rose, un immense arrière par la taille et le talent…Ellis Genge et beaucoup d’autres. La dynamique des Tigers révèle des joueurs à l’image de Harris Wells, le seconde ligne qui était un joueur de club avant que tout le monde découvre et le sélectionneur également que c’est un joueur extraordinaire. Le collectif est au-dessus de tout dans ce club avec beaucoup de joueurs du cru qui donnent une âme aux Tigers. Une recette pas toute jeune mais qui fonctionne à nouveau parfaitement sous le management de Borthwick. 

 

« Être un Tiger, c’est assumer son statut, l’histoire du club, c’est l’orgueil de l’Anglais qui frôle l’arrogance ! »

 

Tu avais été marqué par cette culture lors de ton passage entre 2007 et 2009 …

Oui, je pense qu’ils avaient dérivé de cet héritage, de cette culture très particulière. La philosophie des Tigers n’était pas de donner la moitié de la masse salariale de l’équipe à 3 joueurs, l’identité de cette équipe a toujours été d’investir sur la force du vestiaire, sur le collectif, sur ce que nous étions et ce que nous représentions en portant ce maillot. L’institution a toujours été plus forte que le joueur à Leicester. Steve Borthwick a remis cela à l’ordre du jour en faisant des choix durs et compliqués. Ils se sont recentrés sur ce qui a toujours fait leur identité : la « Tiger’s way » une façon bien à eux de voir l’investissement collectif et le rugby en général.

 

Comment pourrait-on représenter cela ?
C’est l’ambition dans le sacrifice. Les meilleurs joueurs sont ceux qui sont capables de tout donner pour le collectif. Ils entretiennent une culture de la gagne à domicile et à l’extérieur de la première à la quatre-vingtième minute du premier au dernier match de la saison. C’est de l’ultracompétition tout le temps en match ou à l’entraînement. C’est aussi le fait d’assumer son statut, l’histoire du club, le fait que tu joues à Welford Road, dans le club le plus titré du rugby anglais, c’est l’orgueil de l’Anglais qui frôle l’arrogance. Derrière cela, je suis persuadé que Clermont et Leicester sont deux clubs qui se ressemblent beaucoup plus qu’ils ne sont différents. La force collective est la même, la volonté de s’appuyer sur une Academy forte est partagée, les stades ont la même renommée, les publics sont respectueux et passionnés … ce n’est pas étonnant que les deux clubs aiment s’affronter. 

 

Comment parvenir à faire douter cette équipe ?
Clermont est capable de très bien jouer et la préparation des dernières semaines me semble pertinente. Ils sont allés chercher des victoires compliquées, peut-être pas de la plus belle des manières mais au caractère. Le pack retrouve sa domination, Morgan a peut-être fait ses cartons mais pas ses valises, il est toujours là et se sublime toujours autant dans ces moments de tension extrême. Pour faire douter les Tigers, il faudra s’appuyer sur la puissance du Michelin, de l’expérience des joueurs leaders qui attendent et apprécient ces matchs-là et vivent pour certains leur dernière campagne européenne sous ce maillot, de la force aussi de George Moala qui semble vraiment inarrêtable en ce moment. Les deux clubs ont en fait un peu les mêmes points forts et c’est celui qui maîtrisera le mieux ses temps forts qui l’emportera. 

 

Dans quel secteur ont-ils montré des signes de faiblesse depuis le début de la saison ? 
Franchement, il n’y a rien de flagrant… Ils ne sont pas super créatifs mais sont capables de tenir le ballon très longtemps. Ils t’usent, t’étouffent et utilisent le jeu au pied de George Ford à merveille. Il est capable d’arroser toute la journée pour te mettre sous pression. Leur volonté est d’asphyxier leurs adversaires. Pour les en empêcher, il faut parvenir à les bousculer sur les fondamentaux : la touche, la mêlée, les ballons portés… Il faudra que Clermont tienne le ballon et soit discipliné dans tout ce qu’il y aura à faire, que les joueurs maîtrisent bien ses sorties de camp, finalement prendre les Tigers sur leurs points forts : les fondamentaux de notre sport. Pour que Clermont gagne cette rencontre, il faudra un grand Clermont. Je suis persuadé qu’ils en sont capables. Jusqu’où l’ASM sera capable de pousser la fierté d’appartenance, la fierté du public, celle de recevoir le leader du championnat anglais ? Si Clermont est capable de sublimer ce moment dans son stade, le Leicester ne pourra pas tout maîtriser et ils peuvent être pris… Tous les détails vont compter.