« La mêlée est un organisme vivant qui demande à évoluer pour s’adapter en permanence ». Voici sa définition de l’exercice où il fut l’un des meilleurs spécialistes du monde avant de devenir un consultant « exigeant et perfectionniste » comme le décrit Jono Gibbes. La méthode de Dato compose entre sincérité, travail et équité dans le seul but de révéler le meilleur de chacun. Entretien…

 

« Les joueurs savent comment je fonctionne, je ne m’attaque jamais à l’homme. J’ai bien trop de respect pour l’humain et je n’ai pas la prétention d’être une meilleure personne que quiconque pour me permettre de les critiquer. »

 

Dato avait mis le pied dans l’analyse et le conseil de la mêlée bien avant d’endosser le costume de consultant qu’il porte aujourd’hui. « C’est Vern (Cotter) dans les années 2010 qui avait souhaité me confier des responsabilités dans la préparation de séances ou dans l’analyse » reconnait celui qui a tenu la mêlée auvergnate durant 16 saisons. Avec l’arrivée d’un entraineur dédié, il a, en toute humilité, laissé la place et pris du recul pour se consacrer uniquement à son rôle de joueur…  Enfin pas vraiment, « En réalité, je faisais ce que l’on me disait de faire mais j’avais toujours à l’esprit ma vision des choses sur l’ensemble. J’aime profondément la mêlée et je n’ai jamais cessé d’observer, la technique, le comportement, les attitudes et l’aspect humain de cet affrontement. » Savait-il qu’il pourrait mettre ces années souterraines en pratique ? Probablement … « La mêlée est un organisme vivant qui demande à évoluer pour s’adapter en permanence. Il n’y a jamais une seule vérité et toujours plusieurs solutions », le droitier aux 3 Coupes du Monde a pu le constater sur les pelouses et maintenant en haut des tribunes où il surveille ses protégés. « C’est un exercice qui demande de l’humilité, ce n’est jamais un acte automatique où tu as l’assurance que tout va bien se passer. C’est une opposition de forces et de techniques où les rapports changent constamment ». Un domaine qu’il a appris à cerner avant de prendre plaisir à diriger. « Mon discours a toujours été de transmettre avec un maximum de sincérité et de franchise. Ce que je veux c’est que mes joueurs parviennent à voir ce que je vois. J’analyse, je propose, on essaye, et quand on constate du mieux : c’est gagné ! » Une méthode simple et efficace où le franco-géorgien combat avec la férocité qui l’animait sur le terrain les non-dits. « Ce qui me dérange ne reste jamais silencieux. Un joueur doit être capable d’accepter la critique. Les joueurs savent comment je fonctionne, je ne m’attaque jamais à l’homme. J’ai bien trop de respect pour l’humain et je n’ai pas la prétention d’être une meilleure personne que quiconque pour me permettre de les critiquer. En revanche, j’ai la plus grande franchise sur leurs performances en tant que joueur. S’ils ne sont pas capables de faire la différence entre l’homme et le sportif… nous n’irons jamais loin ensemble ! Ceux qui acceptent, avancent et progressent, les autres ne m’intéressent pas ». La méthode peut paraître dure et radicale : elle est efficace.

 

Ni un « expert », ni un « éducateur », ni un « psychologue » !

 

Derrière les mots qui claquent, Dato est un véritable explorateur sensoriel capable de lire dans ses joueurs comme dans un livre. « Quand je parle, je regarde toujours les gens dans les yeux, je peux percevoir s’ils ont reçu ce que je voulais donner ou pas. » Rien n’est plus important que la sincérité. L’esbroufe très peu pour lui. Ceux qui veulent lui vendre du rêve peuvent se lever tôt… « Les champions de l’entrainement » je n’en veux pas ça n’apporte rien de bon à l’équipe. Je préfère des joueurs qui se mettent en difficulté à l’entrainement parce qu’ils se testent plutôt qu’un joueur qui reste sur une domination identique pendant toute la séance. « Pousser en force face à un gamin de 20 ans ça ne sert à rien ». Son objectif est de développer la palette de ses joueurs, de sa mêlée, faire grandir cet « organisme vivant » qu’il nourrit constamment dans le but que tous parviennent « à partager sa vision afin de devenir complétement autonomes ». Construit dans les valeurs de premières lignes, Dato sait à quel point l’Humilité doit rester une valeur refuge de sa corporation. « Je ne suis pas un « expert » ! Chacun à son avis, le mien est celui que je pense bon. Je ne dirai jamais que c’est le meilleur ». Pour illustrer ses propos, il revient sur la rencontre de dimanche dernier face à Bordeaux. « Le grand public n’a pas vu cette subtilité mais le positionnement de nos secondes lignes étaient radicalement différents de celui de Jean-Baptiste Poux avec l’UBB. Il a une explication de ce positionnement, j’ai le mien. Avec ses joueurs, j’aurais peut-être fait ce choix-là. Comme je le disais, la mêlée est une somme de données physiques et mentales variables dans le temps que l’on doit observer pour amener à son meilleur potentiel. J’aime l’idée de fouiller pour parvenir à révéler ce que les joueurs ignorent parfois d’eux-mêmes. » L’introspection va bien souvent au-delà de la simple observation et rien n’est innocent dans l’approche du spécialiste clermontois. « Quand je pose une question, elle n’est jamais gratuite même quand c’est en rigolant. Ce que je cherche : c’est comprendre la profondeur des personnalités, la sincérité de ceux qui m’entourent. »  De la Psychologie ? « Non » se défend Dato. « Je ne suis ni Psychologue, ni éducateur. Cela ne m’intéresse pas et je ne suis pas assez souvent là pour gérer ces domaines. Ce que je veux, c’est que chacune de mes séances se déroulent avec une adhésion maximale de tous. » Une méthode qu’il avait testée l’an dernier, déjà aux cotés de Jono au bord de l’Atlantique. « A la Rochelle, j’ai tout gagné. J’ai découvert un autre fonctionnement, une autre approche du rugby, un relationnel différent. Je me suis constamment posé la question de savoir, pourquoi ils faisaient comme cela et pourquoi nous ne le faisions pas à Clermont … ou inversement ». En grand perfectionniste, il a remis en questions beaucoup de choses et renforcé quelques certitudes dans une première expérience plus que réussie dont il ne garde que de bons souvenirs comme ses échanges avec Reda Wardi ou l’international Uini Atonio. « Uini basait tout sur sa force. Nous avons beaucoup travaillé pour modifier ses habitudes, ses appuis. Ce n’est pas simple pour un joueur de plus de 30 ans et 140 kg, mais aujourd’hui, avec l’équipe de France, c’est ce que nous avons mis en place qu’il applique et lorsque je lui ai fait remarquer il m’a répondu « pour rien au monde je ne changerai… » « Cela fait plaisir » reconnait avec pudeur Dato qui pose depuis cette saison son regard aiguisé sur ses anciens coéquipiers.  « J’ai joué avec beaucoup de joueurs de notre effectif, je connaissais leurs qualités, je savais leur potentiel. Mon rôle a été de leur faire toucher du doigt leurs forces et de les exploiter » Pas de révolution de palais mais une méthode différente et une foule de détails comme cette main gauche d’Etienne Fourcade. « Sur tous les matches de la saison dernière, Etienne lâchait sa main gauche à l’impact. Nous avons identifié cela. Nous avons travaillé ensemble pour que cela change et lorsqu’il a appliqué, les sensations ont été meilleures. » Du concret et des effets qui ont rapidement crédibilisé la démarche de l’ancien droitier et apporté de la confiance à tout le groupe, le tout sous couvert d’une franchise non négociable lui permettant de « tout dire » et aux joueurs de « tout entendre ». Ainsi face à Bordeaux, après le match de Lyon où ses hommes ont écrasé la mêlée adverse, il reconnait que lors de la première période bordelaise « chaque fois que nous avons été pénalisés, c’était justifié. Nous en avons discuté et les joueurs ont été capables d’inverser cela. Mon job il est là ! » 

 

Dans la langue française, j’ai appris qu’il y avait beaucoup de « oui mais… » dans ma langue natale cela n’existe pas c’est « ki »  ou « ara » !

 

Aujourd’hui Dato est un homme d’affaires installé à la tête de plusieurs entreprises (Sécurité, Protection, Import de noisettes…). Une réussite qui lui permet d’être libre dans sa relation avec le Rugby. Ce n’est plus une obligation et pas une priorité financière, c’est juste un plaisir et cela change tout. « Le jour où ça ne va plus, où je n’ai plus envie, je pars. Ce n’est pas plus compliqué. Je pense avoir la confiance de Jono, je prends du plaisir à apporter mon regard sur un exercice que j’aime et qui fait partie de moi. C’est un challenge que je me suis fixé, pas une obligation. » Dans un club où il se sent « comme chez lui » son désir est de transmettre, de contribuer à élever. « Aujourd’hui, je suis conscient que notre mêlée progresse mais elle est encore loin de son potentiel. Dans mon esprit, le projet est tracé, écrit et je le suis ». Sans concession… et surtout pas dans une hypocrisie qui a le tort de mettre un voile sur les non-dits. Dato n’en laisse jamais passer. « Je ne veux pas de superficiel, si tu fais quelque chose seulement pour que je le vois, cela ne marche pas, je t’ai déjà analysé. » Les explications sont franches, directes et pas la peine de chercher à les éviter. « Dans la langue française, j’ai appris qu’il y avait beaucoup de « oui mais… ». Dans ma langue natale cela n’existe pas : c’est « ki » ou « ara » (*oui ou non en géorgien). » Les problèmes ne se contournent pas, ils s’affrontent car au bout d’une carrière le constat est toujours le même. « On se souvient plus des mêlées où l’on a été dominé que celles où l’on a été dominant. Cela doit se graver différemment dans la mémoire » analyse-t-il. « C’est pour cela que ma façon de faire est de dire la vérité ». Il y a quelques années un très bon ami lui demande de venir voir jouer son frère. Il était pilier droit, un très gros porteur de balle, très dynamique mais en difficulté en mêlée fermée sur cette rencontre. A la fin du match, son ami félicite son frère « très gros match c’est top… pas vrai ? » « Tu t’es fait défoncer en mêlée ! Ce que tu fais dans ce secteur n’est pas bon » lance froidement Dato. « Mon ami m’a regardé avec des yeux qui disaient « mais pourquoi tu dis la vérité ? » Je sais que ce n’est pas bon de cacher la vérité, la franchise c’est ce qu’il y a de plus important. Quand un pilier subit, je le dis toujours parce que je sais que l’on peut trouver des solutions pour que ça ne se reproduise plus. » Dans sa façon de faire, les bonnes choses ne masquent pas les échecs et sa méthode va au-delà de la simple reconnaissance des faits… l’explication doit être collective. « Dans la mesure où il y a de l’équité, tout est entendable.  Je veux être libre de dire la même chose à un international à 50 sélections ou à un pilier de 20 ans. Pour moi il n’y a pas de différence de nom, quand il y a un problème, on s’explique. Les non-dits ne font qu’éloigner le gens et dégrader les relations. Je peux me tromper, je n’ai pas toujours raison mais je veux avoir la liberté de parler de tout … même de ce qui fâche ». L’équité de traitement donne à la franchise de Dato sa crédibilité.  Quand une erreur implique le collectif, il ne prend jamais le joueur en privé parce que « dans un bureau tout le monde est toujours d’accord … et cet accord n’est pas bon » sourit-il. « Devant tout le monde, tu vas provoquer quelque chose de supplémentaire, tu vas révéler davantage de toi et montrer aussi la profondeur de ton caractère à tes coéquipiers ». Les réunions « mêlées » sont ainsi toujours très animés sans jamais toucher « à l’homme » ce garde-fou où il n’ira jamais et qui lui permet de faire la part des choses dès l’entrainement terminé. « Mon apport doit être en relation direct avec le terrain. C’est mon seul objectif. Ma méthode est directe, franche. Je cherche à découvrir la profondeur de mes joueurs et pour cela je dois les toucher, les révolter parfois mais aussi les récompenser avec un maximum d’équité et de justesse. La mêlée est un domaine qui fait partie de moi, que je prends très à cœur, alors je ne peux pas avoir de sentiments tempérés, je me dois d’être sincère et juste » analyse celui qui mesure la grandeur d’un joueur dans sa capacité à encaisser les périodes de doute et à prendre avec humilité celles portées par la confiance.

 

Toutes les vérités sont-elles bonnes à dire ? Pour Dato cela ne fait pas le moindre doute. « Si je ne crois pas en quelque chose, je m’en désintéresse, c’est comme ça que mon cerveau fonctionne. Alors, quand je gueule, finalement cela doit être bon signe ! » On confirme « Ki* » !

 

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