Le directeur sportif du centre de formation et entraineur de l’équipe Espoirs, Adel Fellah revient sur cette saison particulière où les contraintes ont largement perturbé le fonctionnement du centre. Il dresse un premier bilan de ses protégés avant d’afficher des ambitions élevées nécessaires au développement de ses joueurs tout en mesurant le gros travail que le centre de formation devra entreprendre pour accompagner les plus jeunes joueurs, principales « victimes collatérales » de cette crise sanitaire sans précédent et maillons essentiels du plan de succession élaboré pour alimenter l’effectif professionnel à moyen et long terme. 

 

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Comment résumerais-tu le début de saison des Espoirs et du centre de formation ?
Par le mot « adaptation » ! Parce que nous n’avons fait que changer de programme au fil des semaines en raison d’une annulation d’une rencontre, du report d’une autre ou de changements de directives gouvernementales modifiant les contraintes au niveau des entrainements. Nous avons modifié constamment nos programmes, fait des réunions en urgence, activé des réseaux de communication rapide entre nous et avec nos joueurs pour que cela nous perturbe le moins possible. Nous avons fait ce que nous avons pu pour continuer d’avoir un fonctionnement cohérent et efficace. Le mois de janvier symbolise vraiment cette période avec 3 annulations successives et une cascade émotionnelle à gérer pour nos joueurs qui avaient besoin de s’exprimer sur le terrain…

 

C’est-à-dire …
Pour le staff, c’est notre travail de devoir nous adapter et de faire basculer tout le monde sur de nouveaux projets et de nouveaux objectifs mais pour les joueurs c’est compliqué. Ils ont dû se préparer à disputer une rencontre de haut niveau, puis ont dû accepter de ne pas jouer avant de basculer sur une rencontre dont ils n’étaient pas certains qu’elle puisse se disputer. Tout le mois de janvier a été rythmé par ce grand huit avec l’espoir de jouer, la déception de ne pas pouvoir le faire et la projection sur un nouvel objectif qui n’avait rien de sûr. Cela a généré pas mal de frustration et cela même si nous n’avons pas eu à subir et gérer un véritable cluster au sein du centre de formation. 

 

L’impact a finalement été encore plus important sur les catégories inférieures…
Effectivement, aujourd’hui tous les moins de 18 ans, les moins de 16 ans et tous les joueurs des catégories inférieures sont malheureux. Ils ne peuvent pas s’entraîner normalement, ne jouent plus, nous ne pouvons plus les évaluer, valider le fait qu’ils montent d’une catégorie à l’autre. Nous avions anticipé sur les moins de 18 ans où nous avons de la visibilité et fait monter quelques jeunes prometteurs avec les Espoirs, mais derrière, ce sera plus compliqué. Toutes ces catégories se retrouvent depuis une saison et demie sans compétition, sans territoire pour se révéler… ce sont eux les plus en difficulté dans cette période.

 

On parle d’une génération sacrifiée…
Je n’espère pas, ils vont être impactés car ils ont moins de visibilité mais nous allons tout faire pour raccrocher les wagons et prendre soin de ces jeunes joueurs. Ils constituent le vivier de demain, nous devons faire en sorte qu’ils continuent leur progression. Nous allons devoir trouver de nouvelles méthodes pour les accompagner et les faire grandir aussi bien physiquement que mentalement. Certains ont peut-être perdu la passion du rugby, nous devons tout faire pour l’entretenir et les soutenir dans cette période où ils n’ont plus la dynamique de la compétition pour les porter. L’enjeu de demain pour le centre de formation est là. 

 

Parlons des Espoirs, comment cette période a-t-elle était traversée ? 
Comme tous les clubs, nous avons fait monter beaucoup de jeunes dans la « bulle » des pros afin de pouvoir amortir les effets éventuels du Covid, avec, en début de saison, des passerelles assez imperméables entre les deux structures (la situation est désormais allégée par les règlements qui obligent les mêmes contraintes dans les centres de formation). Durant tout le début de saison, nous n’avons pas pu disposer de toutes nos forces mais cela a également permis de faire grandir d’autres garçons. Le bilan sportif est que nous perdons deux fois contre le premier de poule (l’USAP) et que nous ramenons le bonus défensif de Grenoble (2ème), face à une belle formation. Le reste s’est bien passé. Seule cette défaite, la semaine dernière face à Perpignan à domicile est regrettable. Tous n’ont pas évolué à leur niveau et nous perdons un match qui était dans nos cordes même si Perpignan est une très belle équipe qui possède de meilleurs automatismes que nous. Nous avons fait le choix de disputer cette compétition avec des jeunes joueurs, cela ne doit pas constituer une excuse, nous aurions dû utiliser cette rencontre de très haut niveau pour nous révéler davantage. Le bilan n’est pas mauvais, nous restons en course pour la qualification, nous avons gagné à Castres, Toulon ou Aurillac… mais il nous manque quelque chose pour aller chercher cette équipe de Perpignan. Nous sommes maîtres de notre destin et l’histoire de cette qualification appartient aux joueurs. La qualification n’est pas l’objectif du staff (NDLR : qui reste d’amener les joueurs au plus haut niveau pour nourrir l’effectif professionnel), cela doit être l’objectif de cette génération de joueurs. C’est à eux de décider les moments qu’ils ont envie de vivre. Nous les mettons face à leurs responsabilités, ils savent ce que nous attendons d’eux, à eux d’évoluer au niveau auquel nous les attendons : à leur meilleur niveau !

 

La politique du club reste tournée sur la formation plus que sur la recherche de titres dans les catégories Crabos ou Espoirs…

(Il coupe) Oui, je suis d’accord, mais cela passe aussi par la performance que les joueurs montrent sur le terrain. Jouer des gros matches, jouer des phases finales, fait partie de cette formation, cela leur permet de se confronter à une pression supplémentaire. Il faut que nous puissions évaluer nos meilleurs joueurs dans ces conditions-là où tout est un peu exacerbé. L’aventure humaine c’est aussi à eux de se la construire. Le fait d’être en phases finales et d’aller chercher un titre, n’est que le fruit d’un travail quotidien dans lequel nous attendons beaucoup. Notre objectif reste la formation et assurer la passerelle vers les pros mais cela passe aussi par les performances avec les Espoirs et le fait de jouer des phases finales. La pression est un facteur intéressant pour permettre aux joueurs d’évoluer. Il faut parvenir à nous mettre dans ces conditions-là pour avancer mieux et plus vite. 

 

Comment se passe la relation avec les pros lorsque vos joueurs montent ou redescende au centre de formation ?

La communication entre les staffs fonctionne très bien et prend en compte beaucoup d’aspects des joueurs qu’ils soient physique avec des donnés GPS, rugby (avec des statistiques étendues) ou mental. Nous avons des échanges réguliers sur les joueurs qui montent qui descendent à quel moment… Tous les membres du staff sont consultés ce qui nous permet d’affiner le « profilage » avec les qualités à développer. Nos deux structures marchent main dans la main et nous avons une parfaite transparence entre nous. Cela va même jusqu’au découpage vidéo qui intègre désormais les rencontres Espoirs ce qui permet aux joueurs qui montent (et au staff) de consulter leurs actions en Espoirs le week-end précédent. Il nous arrive de ménager certains joueurs pour les garder en réserve pour les Pros ou permettre qu’ils développent une qualité ou encore de mettre dans notre équipe un joueur pour lui permettre de retrouver du temps de jeu, toujours en faveur du joueur et de son potentiel devenir avec les Pros... 

 

« L’idée n’est pas d’empiler les joueurs du même âge au même poste mais de permettre à l’ensemble de l’effectif de « glisser » à travers les catégories d’âges afin de constituer le réservoir de l’effectif pro de demain ».

 

Ce fut le cas de Sam (Ezeala) face à l’USAP où le staff Pro a demandé à ce qu’il puisse avoir du temps de jeu …

Exactement, même si Sam n’est plus considéré comme un joueur du centre. Afin de lui permettre de retrouver de la confiance et du temps de jeu, l’équipe Espoirs est un « support » pour lui permettre de retrouver son meilleur niveau et qu’il puisse vite aller s’exprimer avec les Pros. Notre rôle est alors de lui offrir du temps de jeu et des bonnes conditions pour qu’il puisse remonter au plus vite. 

 

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On a vu Clermont très actif et ambitieux sur le marché des jeunes joueurs en allant chercher de très forts potentiels …

Je crois que Clermont reste un club très attractif pour les jeunes joueurs. Par son sérieux, nos infrastructures, les moyens et l’accompagnement dont nous disposons mais aussi grâce à la passerelle très active qui existe avec le secteur professionnel. Quand nous tentons de convaincre les meilleurs joueurs de nos rejoindre, la transversalité de notre formation, qui va de l’école de rugby à l’équipe professionnelle, joue en notre faveur. Notre expérience et le fonctionnement rodé de cette structure sont également une belle force de frappe. Notre recrutement tient toujours compte de la richesse de notre territoire. De l’école de Rugby aux cadets, puis entre les Crabos et les Espoirs, nous assurons une continuité et anticipons nos besoins en puisant avant tout dans notre territoire grâce au très bon travail et aux relations privilégiées que nous pouvons avoir avec les clubs qui nous entourent. Quand nous avons des besoins spécifiques ou des « trous dans la raquette » au niveau de ce glissement générationnelle à des postes particuliers, nous ne nous interdisons pas d’aller chercher des joueurs à très forts potentiels au-delà des frontières de notre région ou même de notre pays comme nous l’avons fait cette saison. Le travail de notre recrutement (et de la progression de nos joueurs) est d’assurer la continuité de notre plan de succession à tous les niveaux générationnels et à tous les postes afin de ne pas générer de trous qui pourraient nous mettre en difficulté dans le futur. L’idée n’est pas d’empiler les joueurs du même âge au même poste mais de permettre à l’ensemble de l’effectif de « glisser » à travers les catégories d’âges afin de constituer le réservoir de l’effectif pro de demain.  On doit trouver le bon équilibre à chaque poste où il doit y avoir de la concurrence afin que les joueurs progressent mais aussi de la liberté pour pas qu’ils se sentent étouffés. 

 

Concrètement, si nous nous projetons dans l’avenir, les joueurs qui monteront chez les pros en 2025 sont-ils déjà au club ?
Nous avons une connaissance fine du plan de succession jusque dans les catégories minimes-cadets, sur des joueurs qui ont 15-16 ans qu’ils soient déjà au club ou dans les clubs partenaires du territoire. C’est un confort, pour nous, au centre de formation de savoir que tout est déjà bien géré et anticipé avec les jeunes joueurs. Cela ne nous empêche pas de suivre ces catégories et d’échanger avec les staffs sur les profils et les potentiels des générations à venir. Nous avons déjà des cadets dont les noms commencent à raisonner et que nous suivons particulièrement. Il n’y a pas encore de certitudes car c’est une catégorie d’âge où il reste encore beaucoup à faire et où les choses peuvent évoluer dans un sens ou dans un autre assez rapidement mais il y a des promesses. Nous allons les suivre de près, comme nous suivons les plus grands car ce sont eux qui constitueront notre principal recrutement au centre de formation. Plus ils avanceront, plus le filtre se resserrera à travers les Espoirs et les Espoirs-convention LNR qui entre-eux directement dans le plan de succession de l’équipe première avec des standards très haut car ils doivent être capables de « matcher » avec les joueurs de l’effectif pro. 2025 c’est demain, les joueurs sont déjà ici, sont repérés et bossent pour parvenir à s’inscrire dans une succession à laquelle ils peuvent prétendre.