L’archipel des Samoa est un confetti perdu au milieu du Pacifique à 3500 kilomètres au Nord de la Nouvelle Zélande. Une terre 10 fois plus petite que l’Auvergne où Tim Nanai-Williams a ses racines et qu’il a choisi de représenter au niveau international après avoir passé toute sa vie en Nouvelle-Zélande. Un allégement du règlement de World Rugby, lui a laissé cette opportunité ; Tim l’a saisie en étant le premier joueur de l’Histoire à représenter deux pays : celui de sa naissance et celui de son sang. « Le meilleur choix de sa vie », celui qui lui a permis de découvrir son pays après en avoir reçu l’éducation en héritage.

 

 

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Jusqu’en 2014, l’histoire de Tim est celle de nombreux autres rugbymen du Pacifique issu de l’immigration des peuples polynésiens en Nouvelle-Zélande. Ces grands parents sont venus trouver du travail et s’installer sur l’île du long nuage blanc laissant les plages paradisiaques des Samoa pour un Eldorado dans un pays en pleine expansion économique d’après-guerre et à la démographie galopante. Les parents de Tim étaient des adolescents lorsqu’ils ont mis les pieds à Auckland à plus de 3000 kilomètres de chez eux. Ils y ont construit leur famille à la sueur de leur front.  « Mes parents travaillaient énormément » se souvient l’arrière clermontois. « Ma mère était aide-soignante pour les personnes en difficulté et travaillait aussi dans une boulangerie. Mon père, quant à lui, était mécanicien. Ils faisaient des heures incroyables pour faire vivre notre famille nombreuse où j’ai grandi au milieu de 7 frères et sœurs dans une banlieue d’Auckland. » Comme la plupart des petits néo-zélandais, Tim a débuté le rugby « vers 5-6 ans » à l’école. « Ce dont je me souviens c’est du froid, du vent. Nous jouions pieds-nus en plein hiver. C’était comme ça que le Rugby a commencé… » C’est comme cela qu’il commence pour tous les enfants néo-zélandais depuis des générations. Certains montrent des capacités, un potentiel et sont irrémédiablement pris dans les filets des éducateurs qui jouent le rôle d’entonnoir pour les écoles et les universités où les meilleurs joueurs percent. Ce fut le cas de Tim qui suivit le chemin de son frère Nick (troisième ligne pour les Auckland Blues) et de son cousin Sonny Bill-Williams (XIII avant de devenir All-Black). « Vers 16-17 ans, en voyant mon frère décrocher son premier contrat, je me suis dit que cela pouvait être possible pour moi. Tout s’est ensuite enchainé très vite puisque j’ai été sélectionné avec l’équipe nationale néo-zélandaise des – de 18 ans, avant d’intégrer les Chiefs. J’étais trop jeune pour jouer avec la province, alors j’ai commencé à alterner avec le Rugby à 7 où j’ai aussi joué pour les All-Black Sevens durant une saison ». Tout semblait alors orienter définitivement le polyvalent et explosif joueur des Chiefs pour une carrière sous la bannière exclusive de la fougère argentée… jusqu’à ce qu’une modification du règlement de Word Rugby ouvre une porte. En effet, lorsque le Rugby à 7 est devenu sport olympique (JO 2016 de Rio), l’éligibilité aux sélections a été modifiée. Les capes de Tim chez les jeunes (et à 7) n’étaient plus un frein. « J’ai été le premier à faire cela, à ouvrir la voie. Avant de prendre la décision de laisser les All-Blacks et de choisir les Samoa, j’ai discuté avec mon entraineur des Chiefs (Wayne Smith). Il m’a compris et m’a dit de suivre mon cœur. » Un bon de « sortie » dont il avait probablement besoin pour enclencher le processus de qualification qui passait par les Tournois à 7 qu’il devait enchainer en plus de la saison de Super Rugby avec les Chiefs. « J’étais motivé car j’avais la Coupe du Monde 2015 dans un coin de ma tête. L’idée de représenter mes origines lors de la plus grande compétition du monde était géniale ». 

 

 

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« Jouer pour les Samoa fut la meilleure décision de ma carrière ! »

 

« Même si j’ai toujours vécu en Nouvelle-Zélande, la culture samoane fait partie de moi depuis toujours. C’est celle que m’ont transmise mes parents. Je parle le samoan, je suis fier de mes origines et je les transmets à mon tour à mes enfants aujourd’hui. » Tim a donc choisi de rejoindre les Manu Samoa au grand bonheur de sa famille. « Ils étaient tellement fiers que je représente leur culture, ce qu’ils étaient. J’ai évidemment reçu leur soutien mais au-delà de cela : je les ai rendus heureux ! J’avais eu la chance de représenter la Nouvelle –Zélande plus jeune. J’ai été le premier à avoir l’opportunité de représenter aussi celui des origines de ma famille ». Tim qui n’avait pu aller au Samoa qu’une seule fois durant son enfance, s’y est rendu en 2015, lors d’un stage préparatif à la Coupe du Monde qui s’est terminé par un match face aux Blacks à Apia (la capitale du pays). Un voyage initiatique qui a réveillé ses racines et renforcé son attachement. « C’était une expérience très enrichissante. En dehors du rugby, j’ai redécouvert plein de choses sur la culture de mon pays, la manière de pratiquer la foi et de vivre en communauté au sein de la sélection. J’ai aussi eu l’occasion de voir des personnes de ma famille restées au pays… Avec l’équipe, nous sommes des frères, nous partageons une culture, un héritage. » Dès son intégration dans le groupe, Tim a compris qu’il avait pris la bonne décision. La fierté et le bonheur n’ont fait que s’amplifier dans les semaines et mois qui ont suivi au moment de défendre les couleurs de son pays lors de la Coupe du Monde 2015 en Angleterre, puis 4 ans plus tard au Japon. Jouer les uns pour les autres rapproche et cela est encore plus vrai lorsque la dimension de la culture et de la tradition renforce ces liens.  Tim s’est naturellement renseigné auprès de « siens » avant de poser ses bagages à Clermont et rejoindre le Top 14. « Des Samoans sont dans le championnat depuis longtemps, comme Census Jonhston. J’avais parlé avec eux et tous m’avaient dit que venir en Auvergne était un bon choix pour moi ». Loin de leur pays de cœur ou d’adoption, la communauté samoane du rugby français s’est naturellement rapprochée. « Notre famille est très loin, nous essayons d’avoir des liens forts entre joueurs, d’être là les uns pour les autres… » Il n’est pas rare de les voir prier ensemble à la fin des rencontres ou de les croiser rendant visite à leurs compatriotes dans le vestiaire adverse une fois le coup de sifflet final donné comme le fit Ben Tameifuna, samedi dernier après la victoire de Bordeaux. Cette communauté recréée à plus de 15 000 kilomètres de l’archipel a quelque chose de rassurant pour Tim qui a trouvé son équilibre en France où il apprécie « la façon de vivre ». En fin de contrat en juin, il ne veut pas précipiter les choses. « Pour l’instant, je veux vivre pleinement les 6 mois qui viennent. Prendre du plaisir, et attendre de voir les opportunités qui se présenteront. Ce n’est pas encore le moment de prendre les décisions, j’adore l’expérience que je vis ici en France, et l’espère que j’aurais l’occasion de rester dans le coin ».

 

En attendant, « Timo », comme le surnomme ses coéquipiers clermontois mènera l’attaque des « jaune et bleu » ce soir face au LOU après avoir appris, mercredi, qu’il jouerait à l’ouverture plutôt qu’à l’arrière (après l’annonce au groupe du forfait de Camille Lopez). « Easy (facile) ! » rigole-t-il « quand tu as des mecs comme Morgan, George ou Api autour de toi… » Il en faut plus pour déstabiliser cet exemple de professionnalisme et de polyvalence ou pour modifier ses routines. En cette période de pandémie mondiale, il en a rajouté une pour se tranquilliser. « Tous les matins, en prenant mon petit-déjeuner, j’appelle ma mère et des membres de ma famille par Skype ou Zoom, juste pour vérifier que tout va bien de l’autre côté du monde… » Et au moment d’échanger ce n’est pas en anglais que Tim parle à sa mère mais en samoan, la langue de ses ancêtres, de son histoire.