La fabuleuse histoire de Tavite, qui s’affirme de saison en saison comme l’un des meilleurs joueurs du monde à 7, débute il y a un peu plus de trente ans dans le petit village de Nakavu situé dans le sud de l’archipel à une centaine de kilomètres à Ouest de la capitale Suva. C’est de là que le troisième ligne clermontois a pris son barda sous le bras et son destin en mains choisissant de rejoindre la France sur le conseil d’une amie de sa mère. Le rugby n’était alors qu’un passe-temps sur une île où il se joue « avec des bouteilles et les copains du village »… Il deviendra une passion, un plaisir pour ce garçon passé par les chemins tortueux du désert malien en bravant le feu ennemi pour défendre les intérêts d’un pays qui est devenu le sien : la France ! 

 

Même si Tavite a débuté le rugby à 7 ans sur son île natale, l’idée d’en vivre ne lui a jamais vraiment traversé l’esprit. Ainsi, ses premières années sont bercées par le quotidien d’un village fidjien, une vie simple et modeste dessinée par deux parents qui travaillent pour subvenir aux besoins de la famille. Sa maman, secrétaire, et son papa, chauffeur routier, le laissent choisir son destin sous les conseils d’une amie de sa mère. Ce sera l’armée. Une porte de sortie « traditionnelle » des jeunes fidjiens en quête d’aventure et d’argent pour aider leur famille qui s’enrôlent en faveur de la British Army ou de la Royal Air Force par centaines. Tavite préfère Nîmes et son régiment de la Légion Etrangère, la base des « képis blancs », ce redoutable corps d’armée où règne encore le code d’honneur et la légende d’un passé rayé au moment de franchir la porte du régiment. A 18 ans révolus, il envoie un mail au régiment qui accepte sa candidature mais refuse le financement de son voyage en France. Sa famille ne peut pas se permettre un tel sacrifice mais la générosité de son village, lui offrira un aller-simple en direction de Paris.  C’est ainsi qu’il débarque au fort de Nogent, là où « le passé disparait et où tu deviens un képi blanc ». Il passe ensuite par Aubagne et finalement Castelnaudary pour faire ses classes, hébergé « à la dure » dans une ferme où il passe plus d’un mois à apprendre à vivre dans des situations « critiques » où il est plus question de « survie » que de « confort ». « C’est dans ces moments que tu apprends à être fort dans ta tête, à dépasser ses limites à combattre la fatigue ou les angoisses… » Tout cela, le fidjien le supporte et l’endure, le plus difficile est finalement « le froid ». « J’arrivais de mon île et nous étions logés dans une ferme battue par les vents en plein mois de novembre. J’avais froid du matin au soir… et puis j’ai fini par m’habituer ! » Les classes passées, deux choix s’ouvrent à lui : le Génie ou l’Infanterie (Nîmes ou la Guyane). Ce sera le 2ème régiment d’infanterie de Nîmes, une troupe d’élite spécialisée dans les blindés et les opérations aux quatre coins du monde. Tavite fut ainsi mobilisé à Djibouti ou au Mali dans des missions de « sécurisation des peuples » … Ce genre de missions menées dans des zones où la guerre n’est jamais bien loin comme se souvient Tavite. « Lors de ma première patrouille au Mali, le véhicule devant celui que je pilotais a sauté sur une mine ! J’étais pétrifié, mais il a bien fallu continuer, porter secours et dépasser la peur. Ces missions étaient très dures, nous avions constamment sur nous les équipements de guerre, des dizaines de kilos à porter sur des marches qui pouvaient durer 20-25 kilomètres sous un soleil de plomb. » Des souvenirs qui permettent de relativiser les quelques heures passées sous la fonte en semaine et l’appréhension qui peut exister au moment d’affronter une équipe lors d’un match de Rugby. Justement, le Rugby est réapparu dans la vie de Tavite comme un simple « passe-temps ». « Quand nous étions à Nîmes au régiment, nous cherchions des occupations et un de mes amis wallisiens, incorporés à la Légion comme moi, Julian Vulaqoro, m’a proposé de venir faire un essai au Rugby Club Nîmois où il jouait ».  « Franchement, ce n’était qu’un moyen de passer le temps, je jouais avec la B, seulement quelques matches par an en fonction de mes disponibilités et en dehors de nos mobilisations. » L’impact du légionnaire sur l’effectif nîmois devint rapidement essentiel dans la performance du club gardois. Le président du RCN, l’a vite compris et a commencé à multiplier les rendez-vous avec le Colonel chef de corps du Régiment, qui assouplit progressivement les gardes de Tavite lui permettant de passer de 5 à 10 puis 30 matchs par an. Tout le monde voyait bien que ce joueur désormais « hors norme » n’avait rien à faire au niveau Fédérale où il traversait le terrain et assénait des plaquages de quelques divisions supérieures. 

La fierté de sa famille, de son village ...

C’est christophe Reigt, l’entraineur de l’équipe de France à 7 qui eut le premier le nez creux en invitant Tavite pour un stage à Marcoussis. « Je n’y croyais pas, j’étais tellement stressé. Je ne me sentais pas à ma place au milieu de tous ces bons joueurs »… et pourtant quelques semaines plus tard, le sélectionneur rappelle « sa pépite » pour sa première cape officielle lors du prestigieux Tournoi de Dubaï. « J’y croyais encore moins, d’ailleurs je n’ai prévenu ma famille que la veille. Ce tournoi est très populaire au Fidji et quand j’ai dit à ma famille que j’allais y participer, c’était de la folie au village. » Ce n’était que le début du rêve puisque pour sa première sous le maillot tricolore et en World Series, Tavite crève l’écran et rivalise avec les meilleurs joueurs du monde. « Lors de ce Tournoi, j’étais tellement stressé que j’ai tout donné face à des joueurs que j’admirais depuis longtemps ! Je courrais partout, c’était fou, ma famille était tellement fière de moi. Lorsque j’ai appelé ma mère pour lui parler, elle pleurait de l’autre côté du téléphone, beaucoup de gens de mon village aussi…» Ce n’était que le début puisque les tournois se sont ensuite enchainés, Tavite n’a plus quitté le groupe tricolore… il court toujours autant et sa famille est toujours aussi fière de lui ! Le rugby est aujourd’hui au centre de sa vie et il profite de cet intermède à 7 pour se régaler à 15. « Il faut un peu de temps pour s’adapter car à 15 la défense est plus en « homme à homme » et il y a plus de combinaisons en touche… » Qu’importe, il a prouvé par le passé qu’il était capable de s’adapter à bien plus difficile sans broncher. 
 

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Celui qui porte ce grand sourire du soir au matin sait combien la vie peut être plus difficile et complexe que celle d’un sportif de haut niveau. Après 12 ans de Légion Étrangère, de moments difficiles, des combats au sens bien moins figuré que celui que l’on emploie lorsque que l’on parle de rugby et un premier retour auprès de sa famille seulement 6 ans après son engagement, le troisième ligne clermontois connait la chance de vivre de sa passion. Derrière une immense humilité, il rigole quand on lui dit qu’il fait partie des meilleurs joueurs de la planète à 7 sans jamais oublier d’où il vient. D’ailleurs, il rectifie quand on lui dit qu’il n’est plus Légionnaire… « Je suis toujours engagé, mais en disponibilité au service du rugby français (après avoir été naturalisé en 2017) ». Dans ce corps d’armée la devise a plus de sens que les mots « Legio Patria Nostra » (La Légion est notre Patrie).