Dans un long entretien, Wesley Fofana a décidé de se confier comme jamais sur son parcours à l’ASM et ses 11 saisons passées en Auvergne. Dans cette première partie, il revient sur ses débuts chaotiques, son insouciance parfois excessive et sa montée en puissance qui a transformé son jeu pour le propulser au plus haut niveau. Coup de projecteur sur une carrière atypique à la découverte d’un joueur hors du commun…

 

Wesley a débuté le Rugby « pour les copains » en suivant les siens sur les terrains de la balle ovale après s’être essayé, plutôt avec succès, à ceux du ballon rond. L’USO Massif-Central (ça ne s’invente pas) puis le PUC tamponnent ses premières licences avant que l’ASM ne lui fasse les yeux doux. Au fil des saisons et de ce potentiel en plein devenir, les premières sélections arrivent, départementales, régionales puis très vite nationales. Le talent est bien présent ; pour l’envie, c’est autre chose. « Plus j’avançais dans les sélections, moins j’avais de copains qui me suivaient et même si je prenais du plaisir sur le terrain, tout le reste était difficile. J’ai eu envie d’arrêter je ne sais pas combien de fois entre le pôle France et ma première saison à Clermont ». Heureusement, cette envie a toujours été contrariée par ceux qui ne l’ont jamais lâché et qui se sont toujours battus pour le convaincre que ce talent ne devait pas se transformer en gâchis. Ses premières saisons furent difficiles entre l’exigence du staff sportif et sa nonchalance, les étincelles furent nombreuses. « J’arrivais en retard à tous les entraînements sans exception. Parfois même je ne venais même pas ». Le bureau de Vern Cotter a tremblé plusieurs fois… sans effet. Le trois-quarts centre écoutait d’une oreille mais « s’en foutait complètement » et la semaine suivante, il recommençait. « Franchement, le club a été extrêmement patient » reconnait-il aujourd’hui. « Vern aurait pu lâcher l’affaire en se disant : mais pour qui il se prend ? » Le stratège néo-zélandais ne l’a pas fait décelant probablement à chaque fois qu’il voyait évoluer ce jeune joueur, encore emprisonné dans un corps pas encore suffisamment affuté, le talent qui l’habitait. L’avenir lui donnera raison.  

« Même moi, je me serais foutu dehors ! »

Malgré son « je-m’en-foutisme chronique » et les coups de gueule qui émaillèrent ses premières saisons en Auvergne, Vern le lance dans le grand bain en janvier 2009, lors d’une rencontre de Coupe d’Europe face à Montauban, quelques jours seulement avant ses 19 ans. Un beau cadeau qui n’arrive pourtant pas à débloquer Wesley « Je voyais bien que j’arrivais à faire quelques trucs mais, même si cela parait stupide aujourd’hui, mon cerveau était incapable de se mettre au travail. Je me laissais porter par le truc, en me disant que si ça marche tant mieux, sinon… je ferais autre chose » sans avoir la moindre idée de ce que pouvait être « cette autre chose ». L’insouciance à son paroxysme dura de longs mois, tout comme la patience de Vern et son staff qui continuaient à remettre Wesley dans le droit chemin dès que celui-ci leur en donnait l’occasion. « Même moi, je me serais foutu dehors ! » avoue le centre tricolore. « Je ne peux que les remercier de leur bienveillance, aujourd’hui. Je n’ai jamais oublié et je ne le ferai jamais. » Lors de la saison 2009-2010, même s’il continue d’être nonchalant, les amitiés renaissent et les feuilles de match se multiplient. Le plaisir revient, l’envie de claquer la porte et tout foutre en l’air disparait. Le déclic se nomme : Franck Azéma.

 

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 A son arrivée en Auvergne (au début de la saison 2010-11), le coach en provenance de l’USAP prend Wesley entre quatre yeux. « J’ai voulu te recruter à l’USAP, je sais que tu es capable de prendre ta place, je compte sur toi. » Les mots, le moment, le feeling… quelque chose se passe, le discours trouve enfin de la résonnance et Wesley se demande « Et si je me préparais en solo, comme un fou, avant la pré-saison pour voir ce qu’il se passe ? » La suite, tout le monde la connait, Wesley débute la saison « Coupe du Monde 2011 » en boulet de canon passant les défenses de l’USAP, de Toulon ou de Bourgoin comme dans du beurre. Explosif, tranchant, inspiré, Wesley explose aux yeux du grand public sous le regard protecteur de Vern Cotter et Franck Azéma.

« Aujourd’hui, c’est à moi de répondre aux questions qui ne me traversaient pas la tête, il y a dix ans ! »

Son attitude change, il comprend. Il comprend que les efforts fournis payent et que pour durer, il faudra fondamentalement changer sa façon d’être. Encouragé, accompagné par les « anciens », il s’accroche désormais et reste dans l’équipe première au moment où les Internationaux font leur retour de la Coupe du Monde. Il n’en bougera plus… Après une période d’euphorie et les premiers appels du pied du XV de France, il sait que son rugby doit évoluer. « Tous les joueurs passent par là. Après une période où tu traverses le terrain, les adversaires commencent à te connaitre, à vouloir te faire mal et réduire les espaces autour de toi. » Dans son coin, sans faire de bruit, Wesley commence à vouloir contrôler de plus en plus d’éléments, à diversifier sa palette. « J’ai travaillé ma vision du jeu, mes skills, ma défense, le leadership sur le terrain et plein d’autres ficelles parfois en m’appuyant sur des personnes extérieures. » Sa défense devient une référence, et même si il se rend compte que les attentes autour de lui sont immenses et que le fait de le voir moins souvent « traverser les défenses » suscite des déceptions, il se persuade qu’il est dans le vrai et que son jeu devient plus complet. Les critiques ne l’épargnent pas… « Je savais que cela devait arrivait. Je savais que l’euphorie allait cesser et même si plein d’autres choses progressaient dans mon jeu, les comparaisons ne se faisaient que sur mon référentiel d’attaquant, le nombre de franchissements, d’essais… Je m’étais préparé à cela et je n’ai jamais rien lâché, j’ai fait le dos rond en redoublant d’efforts sur les autres facettes de mon jeu pour continuer d’avancer n’écoutant que certains référents et oubliant les autres.  Juste avant de me péter le tendon d’Achille en 2017, j’avais trouvé le « truc » entre traverser, franchir, défier, éviter et donner. » Pour retrouver cela, Wesley a dû être patient, revenir progressivement en continuant de se poser les bonnes questions sans brûler les étapes. Depuis le début de la saison, il sait que « cela » est à nouveau en lui. La constance de ses performances est là pour lui rappeler.

Pour décrire son évolution Wesley évoque la société. « Finalement, c’est assez proche de l’image que renvoie notre époque. Quand tu es jeune : tu as besoin d’exister par toi-même, de te faire voir, de briller et puis tu ne te poses pas 10 000 questions, tu prends le ballon et tu cours. D’autres mecs sont là dans l’équipe pour se poser les questions à ta place. Avec l’expérience et la maturité, ton rôle change, tes responsabilités et tes attentes sont différentes. Aujourd’hui, je prends autant mon pied sur une passe décisive que sur un essai que je pouvais marquer à mes débuts. » La dernière action décisive du centre auvergnat est la preuve en images de son évolution. Il y a quelques années, il reconnait qu’il aurait probablement cherché « à poser un crochet à Nagusa qui revenait intérieur pour filer derrière la ligne. Aujourd’hui, je me suis dit : j’ai du champ, comment transformer le jeu pour être sûr de faire marquer l’équipe. » Faire avancer l’ASM par un geste technique, une vision du jeu ou une passe est aujourd’hui un moyen bien plus enrichissant pour lui d’exister… exister pour les autres, pour son équipe et les jeunes qui montent à leur tour. Une philosophie différente, un passage entre l’insouciance et la maturité.

Retrouvez demain, la suite de cet entretien avec Wesley Fofana sur notre site internet.