Dans cette deuxième partie, le patron des Pumas redevient plus sérieux pour évoquer la préparation de son équipe pour la Coupe du Monde, sa façon de diriger sa sélection et l’amour qu’il porte toujours autant pour l’ASM, Clermont et sa région dans une longue et passionnante interview. 

 

Mario, après un premier stage en Australie, c’est à Fukushima que vous aviez basé votre camp de base. Peux-tu nous en dire un peu plus…
A Sydney, j’étais un peu chez moi puisque j’y ai passé 4 ans. Nous étions sur les installations où j’avais mes habitudes et où mon fils jouait au Rugby. C’était bien, peut-être un peu trop bien, un peu trop confortable avec le soleil, la plage… Mais en même temps, c’était prévu de commencer par quelque chose de tranquille après une saison éprouvante où les Jaguares sont allés en finale du Super Rugby, après le Four Nations, le match des Blacks et un dernier amical face aux Sud-Afs qui ne sont jamais très amicaux. C’était bien de commencer en douceur avant de nous éloigner à Fukushima pour vraiment entrer dans le vif du sujet et se focaliser sur ce match face à la France. Les gens, ici ont été formidables, disponibles 24h sur 24, à notre service pour que nous ayons tout ce qu’il faut. Nous avions deux anciens joueurs de foot japonais qui avaient joué en Argentine et parlaient parfaitement espagnol. L’organisation était parfaite, nous avons également été impressionnés par la reconstruction de la ville après le drame. Notre centre d’entrainement était tout proche de l’océan, des infrastructures de très haut niveau, comme si rien ne s’était passé. 

 

L’organisation japonaise est très stricte. Est-ce qu’une sélection latine, comme la tienne, peut connaitre des petites difficultés à suivre ?
C’est vrai que nous sommes très différents, mais, nous, les Argentins, nous avons une grande facilité d’adaptation. Comme cela est parfois difficile au pays d’avoir ce que nous souhaitons, nous avons l’habitude de partir pour nous entrainer dans des meilleures conditions. Nous sommes très malléables, bien plus qu’on ne le pense.

 

Depuis ton arrivée à la tête des Pumas, comment estimes-tu avoir transformé le jeu de cette équipe ?
Ce que nous essayons de faire, c’est de travailler plus que nous le faisons. Nous avons mis l’accent sur l’aspect physique. Pour moi, c’est ce facteur qui te donne le plus de confiance. Si tu vois que tu peux concurrencer les autres équipes physiquement, il ne te reste plus qu’à développer ton jeu. La première année, nous avons déjà constaté une amélioration, mais le travail paye encore plus cette saison où nous avons été capables d’aller chercher des victoires en fin de rencontre. Nous avons aussi eu l’ambition de clarifier encore un peu plus le rôle de chacun, pour que tout aille plus vite et que nous ayons un maximum de joueurs sur leurs pieds, prêts à jouer le ballon, soutenir ou défendre. On est en train de récolter les fruits du travail des derniers années.

 

Vous allez tout simplement vers un rugby moderne…

Ouais… mais qu’est-ce que cela veut dire ? Dans le rugby moderne, j’entends que les piliers doivent faire des grandes courses, des passes de 20 mètres ! On s’est un peu perdu …et nous aussi, au début. Moi, ce que je veux, c’est que mes piliers soient d’abord bons en mêlée, que mon demi-de-mêlée ait une bonne passe et un bon jeu au pied. Je veux que mes joueurs aient des bases ultra solides…et après, si en plus ils ont des cannes terribles et qu’ils enchainent les cadrage-débordements c’est tant mieux, mais ce n’est pas l’inverse ! 

 

« Dire que la victoire apporte de la confiance c’est oublier tout le boulot qui a été fait en amont. La confiance elle vient en travaillant ! » 

 

Depuis ton arrivée, les Pumas ont battu quasiment toutes les meilleures nations du monde. Est ce que cela apporte de la confiance avant de débuter cette compétition ?

(il précise) Nous avons battu l’Australie et l’Afrique du Sud. Oui bien sûr, mais je ne suis pas vraiment dans ce discours. Pour moi ce qui t’apporte de la confiance, c’est ce que tu fais en semaine, dans l’année. Quand tu vois que tu progresses de mois en mois, c’est ça qui t’apporte de la confiance et c’est comme ça que les résultats arrivent. Parfois, on pense que parce que tu as battu « je ne sais pas qui » tu es devenu meilleur… moi je pense que la confiance elle s’emmagasine de jour et jour, par tes skills, ton physique, ton approche mentale, c’est tout cela qui te donne de la confiance le jour du match. Dire que la victoire apporte de la confiance, c’est oublier tout le boulot qui a été fait en amont. La confiance elle vient en travaillant.

 

L’intégration des Pumas au Four Nations et des Jaguares au Super Rugby, a-t-elle transformé le rugby argentin ?
Oui, cela a fait progresser le rugby argentin dans beaucoup de domaines mais je crois qu’à un moment aussi cela nous a un peu desservi. En voulant jouer comme tout le monde, nous avions un peu perdu notre mêlée, notre jeu d’avants. Je crois que beaucoup d’autres nations ont aussi fait ça. Un jour, ils veulent jouer comme l’Angleterre, un autre comme les Blacks ou je ne sais pas qui. Je suis convaincu qu’il faut respecter son identité, son drapeau, ce qui fait que nous sommes des Pumas… il faut accepter d’évoluer en incorporant des qualités supplémentaires mais nous ne devons pas jouer contre nature. Je pense et j’espère que nous avons retrouvé le bon chemin.

 

Pourquoi les France-Argentine sont-ils des matches différents des autres ? 

Parce que nous avons beaucoup joué contre les Français. Ils ont toujours accepté de venir jouer contre nous, quand les grandes nations refusaient de venir en Argentine. Je me souviens des matches dans les années 80 avec Garuet-Dintrans-Ondars, c’était des batailles terribles que je regardais en étant môme dans les tribunes. C’est un Classico ! Beaucoup d’Argentins ont épousé des Françaises et inversement beaucoup de Français, en tournée en Argentine, sont repartis avec des femmes du pays. Ma génération a de merveilleux souvenirs de la France. Beaucoup d’Argentins ont levé le bouclier de Brennus, sont restés longtemps dans le même club et y sont même restés : Rimas (Alvarez Kairelis), Mauricio (Reggiardo), Omar (Hassan) et bien d’autres… Au début, c’était plus important pour nous que pour eux et à partir du moment où nous avons commencé à avoir de meilleurs résultats, c’est devenu un vrai Classico. Au début nous prenions des roustes terribles… plus maintenant (il sourit).

 

Justement, dans quelques jours, celui qui arrive pourrait déjà être décisif pour la qualification en quart de finale…
Nous nous apprêtons à jouer contre un concurrent direct. Avec tous les ingrédients dont nous venons de parler qui font l’histoire de nos confrontations. On se concentre, sur le boulot que nous avons à faire sur le terrain. 

 

Comment ton passage à Clermont a construit l’entraineur que tu es devenu ?
Beaucoup de choses qui étaient faites en dehors du terrain, pour l’accueil de nos familles ou notre bien-être, ont facilité notre intégration. Le club faisait tout pour que tu n’es que le rugby à penser. Quand tu es bien dans ta vie, que ta famille se sent bien, tu es meilleur sur le terrain. Nous avons eu la chance de rendre un peu cela en allant décrocher ce premier titre. J’en suis très heureux et cela aurait été une grosse cicatrice, si j’étais parti de Clermont sans ramener le bouclier. Depuis le temps que nous, pas seulement le club mais notre groupe, le voulions… Nous le méritions tellement. Mais on ne le donne pas au mérite sinon nous l’aurions eu plus que cela (rires). La persévérance, la confiance qui sont données aux projets de ce club sont admirables. Beaucoup d’autres n’ont pas cette patience, sauf que la construction demande toujours du temps. J’ai aussi eu la chance de croiser des entraineurs exceptionnels que sont Vern et Joe. Même si quand tu es joueur, il peut y avoir quelques tensions, avec le recul, tu te dis que c’était une chance incroyable de se construire à leurs côtés. 

 

Est-ce que tout cela t’est utile aujourd’hui ? 

Énormément ! J’ai beaucoup appris d’eux et gardé le contact. Nous échangeons encore beaucoup. J’ai vu Joe dans la semaine. Ce mec est génial, il me donne toujours beaucoup de conseils et nous échangeons même en ce qui concerne le rugby. A l’automne dernier, nous avons joué en Irlande, nous avons débriefé ensemble après le match. Il était même venu boire une bière avec moi l’avant-veille du match et nous avions discuté rugby, méthode d’entrainement… Évidemment, il ne m’avait pas donné le plan de jeu mais c’est quand même une sacrée ouverture et une belle complicité. Je suis également allé rendre visite à Vern en mars dernier. Quand j’étais joueur, cela ne s’était pas super bien fini avec Clermont, mais deux ans plus tard, avec le recul et la lucidité sur ma dernière saison à Clermont, j’étais allé voir Vern pour le remercier de m’avoir permis de vivre tant de belles choses à l’ASM. Franchement, j’aurais été à sa place je me serais viré après le titre ! (Rires) Ils ont finalement super bien géré la situation en professionnels, je l’ai compris plus tard. Je crois qu’il avait été, à la fois, surpris et touché de ma démarche. Depuis, nous essayons de nous appeler, de temps en temps, pour parler rugby. Ces deux entraineurs m’ont profondément marqué.

 

Suis-tu toujours un peu les résultats de l’ASM aujourd’hui ?

Tout le temps ! Un ou deux matches de Top 14 sont diffusés en Argentine, chaque semaine. Si c’est l’ASM, je ne le manque jamais. Je regarde et je continue de supporter. J’étais juste un peu partagé lors de la dernière demi-finale du championnat face à Lyon, parce que c’était Pierrot (Mignoni) en face … il est en train de devenir un grand, il fait du très bon boulot. 

 

Pour finir qu’est-ce qu’il te manque de l’Auvergne ?
(Du tac au tac) Le Fromage (rires), la viande de Salers et l’Auberge de la Moréno, ça me manque ! J’y allais tous les dimanches, sauf quand il neigeait, nous étions chez nous là-bas et ça me ferait bien plaisir d’y retourner. En fait, je me dis que j’aurais aimé arriver plus jeune à l’ASM pour y rester encore plus de temps, débuter vers 23-24 ans et y jouer 10-12 ans. 

 

 

B-RWC-728X90-v2.png